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L'AMNÉSIE DE OUEST-FRANCE
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| Le 25 avril dernier, Ouest-France publiait un article titré : « L’Ouest-Éclair défendait le vote des Françaises dès 1935 ». À l’occasion du 80e anniversaire du premier vote féminin en France, le journal se félicite de l’engagement précoce de son « ancêtre », L’Ouest-Éclair, en faveur du suffrage des femmes. Un journal dont il se revendique donc le descendant, la continuité en quelque sorte. Et de publier fièrement la une de l'époque. Jolie pioche d’archives, aurait-on envie de dire. Mais l’affaire, qui a pu heurter certains de ses lecteurs et de ses salariés mérite qu’on y regarde de plus près.
Car enfin, lancé 2 août 1899 par l'abbé Trochu, L’Ouest-Éclair ne fut pas seulement ce grand journal régional du début du XXe siècle qui plaidait, ici ou là, pour des avancées sociales. C’est aussi — et surtout — un journal qui, dès 1940, se compromet dans la collaboration avec l’occupant nazi. Pétainisme, propagande vichyste, acceptation du désastre moral : sa ligne éditoriale pendant l’Occupation fut sans ambiguïté. C’est pour cela qu’il fut interdit à la Libération, et qu’un nouveau titre fut fondé en rupture : Ouest-France. Une presse nouvelle, née des cendres, et des combats — parfois armés — pour libérer la presse de l’infamie. Son PDG, François-Régis Hutin rappelait à l'envi que les siens avaient repris le siège du journal, les armes à la main, avant de changer aussitôt son enseigne. Ouest-France paraît pour la première fois le lundi 7 août 1944,
Alors oui, on peut trouver dans les archives de L’Ouest-Éclair des articles courageux ou progressistes datant des années 30. Mais faut-il pour autant s’en réclamer, aujourd’hui, comme si cette presse collaborationniste n’avait jamais existé ? Faut-il tracer une ligne directe, et flatteuse, entre une enquête de 1935 et un journal de 2025, en passant sous silence la fracture de 1940–44 ? Non. Car l’histoire n’est pas un buffet dans lequel on pioche ce qui nous arrange. Ce genre de raccourci mémoriel brouille les repères, et affaiblit le devoir de lucidité que la presse doit à ses lecteurs comme à son passé.
Ce phénomène n’est pas unique. Il arrive que certaines institutions — journaux, partis politiques, entreprises — revendiquent une filiation glorieuse en oubliant les pages plus sombres de leur histoire. Mais quand il s’agit de la presse, dont la vocation première est d’éclairer, pas d’embellir, cette tentation de la mémoire sélective devient particulièrement préoccupante. On le voit dans certains hebdomadaires bqui, eux aussi rebaptisés à la Libération, retrouvent leur ton rance, on le voit clairement sur les plateaux de certaines télévisions. Ouest-France, heureusement, est loin d'en être là.
Il ne s’agit pas ici de distribuer des leçons, encore moins de nier la complexité des filiations historiques. Il s’agit simplement de rappeler qu’un journal issu de la Résistance ne peut pas se revendiquer d’un organe de collaboration — même partiellement — sans compromettre l’héritage même de sa fondation.
Gommer l’épisode collaborationniste d’un journal, c’est prendre le risque de troubler la mémoire collective, de banaliser les compromissions passées et, à terme, d'affaiblir la nécessaire vigilance démocratique face aux dérives actuelles.Ce n’est pas seulement une question de cohérence. C’est une question d’honnêteté.
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