Titre :
Et les Ricains ne seraient pas là...
|
|
| Dans notre série de réponses à l'hymne de CNews emprunté à Sardou, voici la suite de "Si les Russkoffs n'étaient pas là"...
Lorsque les treize colonies américaines entrèrent en rébellion contre la Grande-Bretagne, peu pariaient sur leur victoire. Pourtant, en 1783, le Traité de Paris consacrait leur indépendance. Cette transformation d’une révolte coloniale en conflit mondial victorieux fut rendue possible, en grande partie, par l’aide multiforme de la France. Financière, matérielle, militaire et diplomatique, cette assistance ne fut ni anodine ni accessoire : elle fut décisive.
La France, sortie affaiblie de la guerre de Sept Ans après avoir perdu une grande partie de son empire colonial, voyait dans cette insurrection l’occasion rêvée d’affaiblir son grand rival britannique. Mais ce n’était pas qu’affaire de revanche. Au siècle des Lumières, la cause des insurgés américains toucha aussi une fibre plus noble : celle des philosophes et d’une partie de l’aristocratie, qui voyaient dans cette lutte une mise en acte des idéaux de liberté et de souveraineté populaire. L’élan idéologique et l’intérêt géopolitique se rejoignirent, rendant l’engagement français aussi complexe que déterminé.
Dès 1776, avant même la déclaration formelle d’indépendance, la France commence à agir dans l’ombre. Par l’entremise de la compagnie fictive Rodrigue Hortalez et Compagnie, créée par Beaumarchais, elle livre aux insurgés des armes, de la poudre, des uniformes. À Saratoga, en 1777, environ 90 % de l’armement américain est d’origine française. Ce soutien se poursuit jusqu’en 1783, représentant un effort colossal de 1,3 milliard de livres en prêts, dons et matériels. Sans cet appui, l’armée continentale, mal équipée et fréquemment au bord de l’effondrement financier, aurait difficilement tenu tête à l’Empire britannique.
La victoire de Saratoga convainc Paris de s’engager ouvertement. Le 6 février 1778, la France signe un traité d’alliance et un traité de commerce avec les insurgés. Le conflit devient officiel : la guerre d’indépendance américaine entre dans une nouvelle phase. Environ 12 000 soldats français, accompagnés de 32 000 marins, rejoignent le combat. À la bataille des Caps de Virginie, en 1781, la flotte de l’amiral de Grasse bloque les renforts britanniques, rendant possible la victoire décisive de Yorktown. C’est là, le 19 octobre 1781, que les troupes franco-américaines, dirigées par Washington et Rochambeau, obtiennent la reddition du général Cornwallis. Parmi les visages marquants de cette épopée, le marquis de Lafayette, tout à la fois officier engagé, conseiller et symbole vivant de l’alliance, incarne ce lien transatlantique.
L’action de la France ne se limite pas aux champs de bataille. Elle joue aussi un rôle diplomatique de premier ordre. À Paris, Benjamin Franklin devient l’ambassadeur de l’Amérique insurgée et l’incarnation même du « philosophe républicain ». Sa popularité facilite les négociations, tandis que l’entrée de la France dans le conflit contraint la Grande-Bretagne à disperser ses forces vers les Antilles, l’Inde, l’Europe. Cette internationalisation du conflit finit de légitimer la cause américaine. Elle incite aussi l’Espagne à entrer en guerre en 1779, suivie des Provinces-Unies en 1780, bien que leur rôle reste secondaire.
Cette aide fut capitale sur tous les plans. Militairement, sans la flotte, les armes et les troupes françaises, les colonies, dépourvues de marine et faiblement armées, n’auraient pu affronter durablement les forces britanniques. Financièrement, les ressources françaises permirent de maintenir l’effort de guerre dans des conditions critiques. Diplomatiquement, l’alliance française permit aux jeunes États-Unis de sortir de l’isolement et d’être reconnus sur la scène internationale. Sans cette intervention, la guerre se serait prolongée, voire perdue.
Mais cette générosité eut un prix. Les 1,3 milliard de livres dépensés aggravèrent la dette du royaume, déjà fragilisé. L’effort financier colossal, ajouté à une économie en tension, contribua directement aux déséquilibres qui précipitèrent la Révolution française. Car, ironie de l’histoire, en aidant à fonder une république de l’autre côté de l’Atlantique, la monarchie française s’enfonçait dans une crise qui allait bientôt lui coûter sa propre tête.
Il serait réducteur de voir dans cette aide un simple acte désintéressé de solidarité républicaine. L’engagement de la France fut motivé à la fois par des considérations stratégiques et par un véritable engouement intellectuel. Affaiblir l’Angleterre restait l’objectif principal d’une monarchie encore humiliée par ses défaites passées. Mais l’idéal américain, fondé sur les droits naturels et la liberté, séduisait aussi une élite intellectuelle, avide de changement. Des figures comme Lafayette illustrent ce double élan : la France officielle agit pour l’équilibre des puissances, tandis que ses fils rêvaient déjà d’un monde nouveau.
L’histoire a retenu la victoire américaine comme l’un des grands récits fondateurs de la modernité politique. Elle ne doit pas faire oublier que cette victoire fut, en partie, française. Sans Beaumarchais, sans de Grasse, sans Rochambeau, sans les bataillons anonymes partis de Brest ou de Rochefort, l’indépendance américaine aurait peut-être attendu. Mais à cet engagement, la France paya le prix fort. L’Amérique gagna une nation ; la France, une révolution.
|
| |